" Le 21 au réveil, les Polonais sont appelés les premiers à l'appel. Il leur est distribué une boule de pain et une boîte de singe pour 5. Après les Polonais des rations sont distribuées aux Tchèques, aux Hongrois, aux Français, aux Belges et aux Hollandais. La distribution terminée, nous partons à pied sur la grand route. Les S.S. nous accompagnent avec leurs armes. Le premier jour nous effectuons 35 kilomètres. Nous couchons dans la grange d'une ferme. Pendant la nuit le morceau de pain que je possédais a disparu. Plus rien à manger. Que vais-je devenir?
Le lendemain nouvelle étape de 20 à
25 kilomètres. Tous les jours il faut marcher sans savoir où l’on va. Ces
marches forcées commencent le 21 AVRIL pour ne se terminer que le 4 MAI. Au
bout de quelques jours nombreux sont les camarades qui tombent, épuisés de
fatigue. Beaucoup meurent de faim. Le soir, l’étape terminée, nous ramassons
des feuilles de frêne, des orties, des pissenlits, nous puisons de l’eau dans le
fossé, et nous faisons tiédir cette drôle de nourriture.
Des hommes exténués s’arrêtent et se
reposent le long des fossés. Malheur à eux. L’arrière-garde du convoi est déjà
là. Les sauvages relèvent le numéro matricule de la veste du détenu sur un
carnet, ils le font coucher face contre terre et lui décharge le revolver dans
la nuque. La route est jalonnée de cadavres zébrés. Nous ne faisons pas 100
mètres sans trouver un camarade mort
assassiné.
Les premiers jours les plus robustes
viennent en aide à leurs camarades fatigués, mais au bout de quelque temps l’épuisement
est si grand que même les plus endurcis, les plus courageux ont peine à se
traîner.
J’ai vu des camarades mourir avec toute
leur lucidité. A bout de souffle il leur est impossible de continuer la route.
Désespérés, ils pleurent, appellent leur maman, leur épouse, leurs enfants, se
couchent face contre terre, se mordent les poignets et attendent d’être
immolés.
Les derniers jours je n’ai plus d’illusion,
je sens que mon tour arrive. Je tombe à chaque instant. De bons camarades m’aident
à me relever. La mise en marche me fait atrocement souffrir. Soutenu pendant le
premier kilomètre, je finis par marcher sans secours comme un automate.
Chacun se demande : Demain
pourrai-je faire l’étape ?
Le 2 MAI un appel a lieu. Sur 32.000
partis le 22 AVRIL, nous ne restons plus que 21.000. Après une pause de 48
heures dans une forêt, nous reprenons notre marche. Maintenant la route est
encombrée, impossible d’avancer. Des convois interminables de voitures, de
civils encombrent la route. L’aviation anglo-américaine bombarde les colonnes.
Nous fabriquons des coutelas avec des cercles de tonneau et, si nous le
pouvons, nous découpons un morceau de cheval mort, que nous mangeons cru pour
calmer notre faim.
Les routes sont de plus en plus défoncées.
Les cadavres, les chevaux, les voitures s’amoncellent partout. Nous sommes à
nouveau dans une forêt. Là, les S.S. nous apprennent qu’ils attendent une
décision d’Himmler. Froidement on nous la communique. Nous serons tous
fusillés.
Tout à coup, à notre grand étonnement,
nous apercevons des camions de la Croix-Rouge Internationale. Ils s’arrêtent à
la lisière de la forêt. Ils demandent aux S.S. l’autorisation de nous
distribuer des vivres. Un colis d’un kilo pour 5 nous est distribué.
Le lendemain matin 4 MAI à 4 heures, l’appel
n’a pas lieu comme de coutume. Cinq, six, sept heures passent, toujours rien. Jusque-là
personne n’avance vers la route, il nous est défendu d’en approcher sous peine
de mort. Intrigués quelques camarades grimpent aux arbres et s’aperçoivent que
les S.S. et leurs chiens ont disparu. Nous approchons tous de la route et notre
surprise est grande en voyant passer des estafettes russes en moto. Peu après
des voitures, des camions arrivent.
Nous sautons au cou des Russes, nous les
embrassons. Nous trépignons de joie, leur serrons la main. Impossible de nous
comprendre, mais pour nous c’est la délivrance, la liberté, la vie".
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