Témoignage oral de Camille SUDRIE, directeur de Radio Limoges,
enregistré en 1953 et transmis par la famille.
« J’ai retrouvé quelques notes
jetées sur des feuillets épars peu de jours après la libération de Buchenwald.
Je ne changerai rien à la forme schématique que, faute de moyens, j’avais
adoptée à l’époque.
11 avril 1945 : un jour pas comme
les autres. La veille on s’attendait au pire. Mais l’ordre de destruction du camp n’a pas été exécuté. Silence dans les
blocks. Défense absolue de sortir. On attend.
Depuis des semaines les sections sont en
état d’alerte. L’évacuation du camp a commencé le 8. Des milliers de häftlings
(1) sont sur la route. Que sont-ils devenus ? La route et le plus souvent
la mort.
Notre block devait lui aussi être
évacué. Un tour de force qui tient du prodige nous a fait éviter la
catastrophe. Un coup de chapeau aux camarades qui ont organisé notre
camouflage. Bien joué. Malheureusement certains des nôtres ont suivi ceux du
Block 26. Ils sont partis. Le bruit court qu’ils ont été massacrés. Notre cœur
saigne.
Hier
des camarades des sections de choc ont filé le long des blocks avec des ruses de Sioux. On
suppose qu’ils sont allés prendre des armes. La résistance est bien organisée.
Les Américains ne devraient plus être loin. On croit qu’ils passent au pied de
la colline pour s’occuper de nous. Les mouchards sont en l’air et survolent la
carrière. Le bruit des mitrailleuses se rapproche. Il y a de la bagarre dans
les environs. La tour et les miradors sont évacués par les S.S.
On voudrait se rendre compte. Soudain des hourras. Le
drapeau blanc est hissé au sommet de la tour. C’est bientôt la fin. La chasse
aux S.S. se poursuit autour du camp. Des häftlings ramènent les prisonniers. On
commence à respirer. Les G.I.s ne vont pas tarder à se montrer. En attendant ce
sont les häftlings qui montent la garde du camp. On va pouvoir sortir des
barbelés. Mais à quand le retour en France ?
J’ai attendu jusqu’au 22 avril pour quitter définitivement le camp. Les
onze derniers jours ont paru interminables. Certes nous n’avions plus le souci
de nous dire comme chaque matin en
partant pour le travail forcé : De
quoi ce jour sera-t-il fait ? Tiendrai-je jusqu’à ce soir? J’avais vu de
nombreux camarades épuisés tomber sur le chantier. Le crématorium étant saturé, les cadavres
parcheminés restaient entassés autour du
bâtiment.
Maintenant, malgré ma faiblesse, j’étais
à peu près certain de rentrer en France. Qu’allais-je retrouver des miens qui
étaient restés sans nouvelle ? Avaient-ils été eux aussi victimes de la
Gestapo ? Et que se passait-il en France où l’on s’était tant battu ?
Que restait-il de notre pays ?
Ainsi après tant de longs mois
d’isolement notre délivrance fut pour beaucoup d’entre nous suivie d’un nouveau
sentiment d’angoisse qui prédominait et devait étouffer en nous la joie d’une
libération si longtemps, si ardemment espérée. »
Note
1 : häftling = détenu, déporté.
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