LE 6 FÉVRIER 1944 À BRÉNOD
L'accrochage de RUFFIEU, puis les opérations ponctuelles menées dans la région par. .les Allemands éveillent la méfiance et l'inquiétude des habitants du village qui, la nuit, rejoignent les lieux écartés ou se tiennent prêts à le faire.
Le samedi 5 février on perçoit des coups de feu en direction du Monthoux et, peu après, une rumeur parcourt le village: « Des camions allemands ont traversé BRÉNOD et ont filé en direction d'HAUTEVILLE». Aussitôt la plupart des hommes valides quittent leur domicile et s'égaillent vers les hameaux et les fermes des alentours. J'en fais de même et je me retrouve dans la matinée dans une ferme qui, dominant la plaine, permet de suivre tout mouvement suspect. Nous sommes alors une vingtaine, réfugiés dans la ferme de Ferrière. A flanc de coteau, surplombant le plateau et les routes de BRÉNOD à CHAMPDOR et CORCELLES, elle constitue un poste d'observation idéal permettant en outre un repli facile vers la forêt toute proche. La journée se passe dans l'attente et, de notre position dominante, nous avons une vue dégagée vers la zone dangereuse.
En fin d'après-midi nous voyons la colonne allemande reprendre le chemin inverse de celui du matin. Malgré l'amicale insistance et les exhortations du «gros de Ferrière» qui nous propose généreusement de manger chez lui «à la fortune du pot» et de coucher dans la paille, nous décidons tous de regagner le pays. Dans notre naïveté nous pensions alors que les Allemands observeraient la trêve dominicale, opinion qui a pu se trouver confortée par la neige qui commence à tomber, assez serrée, ce samedi soir. Erreur grossière et lourde de conséquences!
La nuit a été calme et, le dimanche 6 février au matin, le sol est recouvert d'une couche de neige de 40 à 50 cm. Le ciel est clair et le soleil commence à poindre. Vers 9 heures, devant la fenêtre du «pêle», je suis occupé à me raser avant d'aller à la messe. Machinalement je regarde au loin et c'est alors que je vois des taches noires paraissant immobiles mais qui, en réalité, se rapprochent lentement. Au bout d'un moment je réalise qu'il s'agit de soldats allemands qui finissent par former un cordon autour du village. La nasse est fermée…. A peu près simultanément, d'autres soldats descendus de camions arrêtés sur la place, frappent aux portes des maisons et invitent les hommes à se rendre à un contrôle d'identité. De place en place des sentinelles surveillent le bon déroulement des opérations. Certains habitants sont absents de leur domicile, d'autres n'hésitent pas à prendre des risques et à se cacher là où ils le peuvent. Il faut néanmoins reconnaître que les fouilles approfondies des maisons sont peu nombreuses et que, d'une façon générale, les hommes rejoignent sans trop de difficulté le lieu de rassemblement.
Je me retrouve donc, un peu plus tard, sur la place parmi ceux qui m'ont précédé. Lorsqu'il juge que la population masculine est toute arrivée, le chef de l'opération fait entrer tout le monde dans la salle des fêtes. Là, chacun présente ses pièces d'identité à des individus en civil (probablement des membres de la Gestapo accompagnés de traîtres). Après un interrogatoire rapide destiné à confirmer l'identité et des questions visant à obtenir des renseignements sur les membres de la Résistance, leur refuge et leurs actions (questions qui sont d'ailleurs restées sans réponse), deux groupes sont formés et séparés. Le groupe des personnes les plus âgées (plus de 45 ans) et les plus jeunes (moins de 16 ans) est remis en liberté. Le reste, dont les pièces d'identité demeurent entre les mains des Allemands, comporte 23 hommes de 18 à 45 ans auxquels le chef de l'opération s'adresse en disant à peu près ceci: «Vous avez voulu la guerre. Vous avez la guerre. Votre village brûle. Nous prenons ce groupe en otage. Il y a beaucoup de travail pour vous en Allemagne!».
L'après-midi se passe dans l'attente et dans l'ignorance des événements. Nous discutons pour tromper notre inquiétude. Finalement la nuit est tombée lorsque, rejoints par Mme FAIVRE, nous sortons de la salle des fêtes et nous dirigeons vers un camion stationné devant la fromagerie. Nous grimpons alors dans ce véhicule, équipé de bancs. Les gens se serrent, certains s'assoient par terre et, monté dans les derniers, je me retrouve assis sur le plancher, le dos appuyé contre le hayon arrière. Deux sentinelles sont installées en bout de bancs. D'autres véhicules se placent devant et derrière le nôtre et le convoi se met en route en direction du nord, tandis que les incendies font rage ( la boulangerie Carrier, le garage Tardy et quelques autres flambent).
Nous quittons BRÉNOD pour une destination et une vie que nous sommes bien loin d'imaginer!
Récit écrit par Georges PETITJEAN, déporté de Compiègne à Mauthausen le 22 mars 1944. Matricule N° 60428. Transcrit avec l'aimable autorisation de son fils Alain. |