Témoignage écrit de Célestin VARENNE.
« En septembre 1939 je suis à la disposition des usines Saint-Jacques à Montluçon comme mobilisé industriel. En effet étant engagé pour la durée de la guerre en 1917 je faisais partie de la classe de mobilisation1918 qui est la plus jeune classe dont les spécialistes sont rattachés aux établissements travaillant pour l’armée. Je le regrette tout d’abord et puis je réfléchis. C’est peut-être là, à mon âge, que je rendrai le maximum de services. Hélas il me faut prendre le temps pour m’apercevoir que vu le gaspillage, la lenteur que l’on met à mettre la fabrication massive en route, nous ne serons pas prêts au moment du grand choc qui viendrait fatalement. Aussi le désastre arrivé, je ne suis qu’à moitié surpris. Pourtant tout n’est pas perdu et je pense comme beaucoup à une organisation de notre défense en Afrique du Nord. L’Armistice et ses conclusions me causent un profond dépit et dès le jour où j’ai entendu la proclamation de guerre ma position est prise. Il faut lutter tout de suite et commencer avec les éléments qui nous seront laissés à créer un courant défavorable à toute collaboration avec l’ennemi. Viendra bien le moment que je ne croyais pas si lointain où nous pourrons relever la tête. Très connu et en rapport avec beaucoup de monde, je me suis attaché à empêcher dans la mesure du possible les inscriptions à la Légion (1), plus tard à provoquer les désistements. Combien de fois ne m’a-t-on pas dit « Mais tu vas te faire enfermer ! » !! Mais c’était du trop bon travail pour l’abandonner. Fin 1941 un ami me fait faire connaissance du professeur KAAN (2) de « Libération ». Dès cet instant je collabore avec lui : renseignements et émissions. Nous avons une antenne spéciale et un local bien camouflé avec deux portes de sortie où la clientèle ne pénètre pas. Nous faisons du bon travail. Je connais maintenant déjà pas mal de gens sûrs, mais KAAN, poursuivi par la police française, doit partir pour la région parisienne. Nous faisons disparaître toute trace de parachutage et autres. Pendant quelque temps il y a un ralentissement, mais les circonstances me servent. Je vais à Clermont pour mes affaires. Nous sommes en automne 42. Je rencontre chez lui COULAUDON Gaspard (3) que je connais bien. Nous nous sommes vite compris. Il me propose de venir me voir chez moi avec un patron du centre. En effet c’est avec INGRAND (MAZIÈRE) (4) qu’il vient. Je suis désigné pour prendre le commandement de « Combat » en remplacement de BLOCH (5) qui vient d’être arrêté. Je m’emploie de suite à raccrocher les éléments que mon prédécesseur avait formés et recrutés. Vient janvier 1943. Je reçois l’ordre de Clermont de former le M.U.R. (Mouvement Uni de Résistance). Je m’emploie à la tâche ardue entre toutes : arriver dans ce coin à faire travailler socialistes et communistes. Enfin mon indépendance me sert et après beaucoup de démarches l’union est faite. Je servais de trait d’union à tous les accrochages jusqu’à mon arrestation. Pendant ce temps les recrutements et l’organisation continuent. Nous n’avons pas de maquis. J’ai préféré placer nos réfractaires chez les cultivateurs. Nous sommes en rapports constants avec eux et nous nous arrangeons pour leurs pièces d’identité, le complément de leur ravitaillement, les chaussures. Je suis aidé dans cette tâche – et avec quel dévouement !- par Messieurs .Clarens père et fils, mon frère, M.Sergeur, maître bottier au Camp Neuf et Lasset cordonnier. Je vois souvent M.Clarens fils qui voyage beaucoup et me donne de précieux renseignements en même temps qu’il me met en rapport avec la région de Mazirat, Marcillat me permettait ? où nous formons un couturier. Il me met également en rapport avec Melle Dejandier de Viplaix qui s’est mise courageusement à la tête des résistants de sa commune. Nous prenons contact avec le militant Sergeur qui les connaît tous bien et m’aide dans cette tâche. Et c’est par son intermédiaire que je connais Schneider, interprète à la gare de Montluçon et agent de l’I.S. de Toulouse avec qui nous collaborons également.
Il serait difficile de décrire cette période de préparation fiévreuse des derniers mois qui ont précédé mon arrestation qui eut lieu le 24 février en même temps que mon frère. Le groupe comptait à ce moment 630 membres et était en pleine croissance. Je l’avais pris à une centaine environ. Mon arrestation me surprend en pleine période de préparation militaire. Le matin même je devais aller à Marcillat terminer l’organisation de la centurie ?. Je devais prendre le bus. Le lieutenant Martin qui venait de m’être adjoint comme militaire devait me rejoindre au passage à Néris. Le hasard a voulu que j’arrive quelques secondes après son départ. Je revins à la maison et un quart d’heure après c’était l’encerclement de la maison par la Gestapo et le départ pour Clermont. Quel regret ! Quinze jours plus tard tout aurait été terminé. J’attendais deux parachutages qui étaient spécialement réservés au groupe et moi-même je prenais le maquis d’où, tout en restant en relations, j’aurais attendu le moment d’agir. Je n’ai pour ma part pas fait de coup de main. Cela nous était d’ailleurs recommandé spécialement. J’ai été au courant ou assisté à leur préparation ou les ai provoqués (Saint-Hilaire, les pylônes de Saint-Jean, la Côte Rouge, etc.). Pour le Pont de Menat je n’y assistais pas, mais ai eu le délicat problème de faire soigner les blessé, trouver un docteur, un chirurgien et le refuge, ce qui m’a valu plus tard à Clermont une drôle d’alerte et une formidable raclée de nerf de bœuf de coups de tisonnier. J’ai distribué le plus consciencieusement possible toutes les brochures, tracts, petits carnets, cahiers à cigarettes parachutés qui me sont parvenus. Que ce soit « Franc-Tireur », « Combat », « Libération », « Défense de la France », rien n’a été gaspillé. Les « Témoignage Chrétien » ont tous été distribués sous les portes et dans les boîtes à lettres. J’avais jugé en effet que cette feuille bien écrite et bourrée de preuves convaincantes ferait du bien dans certains milieux que nous n’avons pas pu toucher jusqu’alors. Je ne peux m’empêcher de penser à ….. l’habitude du danger peut conduire cette succession de visites à la maison qui n’avait rien du caractère commercial et à l’aide précieuse que m’a rendue ma femme qui prenait les rendez-vous et faisait la répartition des papiers et courriers en mon absence. Nous arrivons à la prison de Clermont. Mon frère et moi, nous sommes mis en cellules séparées et le lendemain confrontés avec Christophe (Chapat, chef des effectifs région de Clermont). Il est en piteux état, la mâchoire cassée, et me dit en rentrant : « Ne cachez rien ! Ils savent tout ! Couvrez les amis ». J’ai compris. Sous la douleur il nous a probablement donnés. Alors l’interrogatoire commence. C’est Mathieu (6)….le chef de la Gestapo est là. « La Panthère », la Brandt (7) aussi. « Tu étais le chef du Groupement « Combat » à Montluçon. -Oui. Tu as distribué de fausses cartes d’identité. -Oui. -Des tracts. -Oui. Des centaines de kilos. - Tu as participé à des coups de main, des parachutages. -Non. Mon action a été entièrement politique. - Tu vas nous donner le nom de huit de tes principaux collaborateurs. - Non ! » Je sais que le silence se paie en coups de nerf de bœuf. Je m’étais aperçu que mon frère n’avait pas été reconnu par Christophe/Kristoff. D’autre part, je ne me rappelais pas non plus qu’il avait eu l’occasion de le voir. J’ai soutenu qu’il n’avait jamais été au courant de mes agissements. On lui avait promis la libération, mais quarante jours après il prenait le chemin de l’Allemagne. Moi, je restais en otage. Mathieu m’avait dit que je serais fusillé. J’ai toujours pensé que c’était plutôt en cas d’arrestation et de confrontation…. Puis c’est le 18 avril que je suis rappelé à l’interrogatoire. Il y a encore là Mathieu , la Brandt, Blumenkamp (8), mais il y a Vernières (9).
Source: Archives de la famille.
Notes : (1) La Légion : La Légion des Volontaires Français (L.V.F.) contre le bolshevisme créée en 1941. (1) Kaan Pierre, responsable du mouvement « Libération » à Montluçon (2) Emile Coulaudon dit Gaspard : responsable de « Combat » dans le Puy-de-Dôme, puis chef des FFI dans la région R6. (3) Ingrand Henry : chef régional du mouvement « Combat » (4) Bloch Emanuel : responsable de « Combat » à Montluçon. (5) Mathieu Georges : collaborateur français de la Gestapo à Clermont-Ferrand jugé, condamné à mort et fusillé le 12 décembre 1944.
(6) Brandt Ursula dite « La Panthère », auxiliaire allemande de la Gestapo à Clermont-Ferrand (7) Blumenkamp Paul : chef de la Gestapo de Clermont-Ferrand (8) Vernières Jean : collaborateur français de la Gestapo à Clermont-Ferrand jugé, condamné à mort et fusillé le 19 décembre 1944.
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