Annexe:
Témoignage de Gisela
PREISS-GOLDSCHNEIDER transmis à l'AFMD de l'Allier par elle-même.
L’histoire
d’une survivante de l’Holocauste née à Berlin le 27 mars 1925 transcrite le 12
août 2003 par Madame Halpern à Zurich, revue et terminée par Madame Monica
Melman le 18 juillet 2005.
«
Je suis née à Berlin le 27 mars 1925, mon père à Cracovie (Pologne) et ma mère
à Radlow près de Tarnow (Pologne). Mon père a fréquenté l’Ecole de Commerce de
Cracovie, parlait parfaitement l’allemand et émigra à Berlin vers l’âge de 18
ans. Un frère de ma mère habitait déjà à Berlin et en 1923 il la fit venir. Mon
oncle connaissait déjà mon père et organisa leur Schidech.
Puis
mes parents gagnèrent leur vie sans moyens financiers en vendant des tissus et
des coupons. Ils montèrent leur affaire dans une pièce dans notre appartement.
Mes parents avaient une nombreuse clientèle
et nous pûmes à cette époque-là gagner notre vie convenablement. Ma mère
était tout à la fois une femme d’affaires compétente, ménagère et mère. A
Berlin j’ai fréquenté l’école primaire, puis le collège. L’école s’appelait
« Grosse Hamburgerstrasse » et était juive bien sûr. Je n’ai pas pu fréquenter d’autres écoles,
car le jour où eut lieu la Nuit de Cristal (9/10 novembre 1938) il n’était plus
possible de fréquenter l’école. Le professeur se rendit compte du danger et ce
fut mon dernier jour d’école.
Mon
père a fui en Belgique en novembre 1938. Avant de partir, mon père m’a chargé
de mettre à jour les livres de compte de leur affaire. J’avais 13 ans et demi à
l’époque. Je dus emmener les livres de compte au bureau des impôts. Comme
j’étais plutôt grande, le fonctionnaire apparemment ne fit pas attention à mon
âge. En tout cas le fonctionnaire fut convaincu que j’avais tout rempli
correctement. Mon père donc a fui en Belgique en novembre 1938 en passant la
frontière illégalement et a vécu au début chez un oncle à Anvers. En janvier,
deux mois plus tard, ma mère et moi avons réussi à passer la frontière en Belgique
après avoir marché pendant trois heures et demie avec un guide à travers des
champs couverts de neige. J’avais 14 ans à l’époque. Je souhaite ajouter que je
n’avais ni frères ni sœurs.
A
Anvers j’ai fréquenté une école technique, mais elle n’était pas juive. J’ai
appris toute seule le flamand et j’étais dans la section Tailleur ; en
outre je fréquentais une école de commerce.
Jusqu’en
mai 1940 nous avons pu vivre à Anvers
jusqu’à ce que les armées d’Hitler envahissent la Hollande et la
Belgique. Nous réalisâmes qu’il nous fallait fuir à nouveau. Dans un wagon à
charbon vide et plus tard dans un wagon à bestiaux, nous nous sommes retrouvés
dans la campagne française encore inoccupée où on nous attribua un petit
logement. Autant qu’il m’en souvienne,
c’était organisé par les Français et non les Juifs. Mon père fit un
jardin, planta des légumes et plus tard des pommes de terre aussi. Ainsi nous
pûmes nous nourrir en partie. A cette
époque-là j’ai lu beaucoup de livres en français et de cette façon je me suis
plutôt bien habituée à la langue
française.
Nous
avons pu rester à cet endroit jusqu’à ce que les déportations commencent. Des
gens de notre connaissance appelés les Frenkel qui habitaient dans une petite
ville appelée Néris-les-Bains, à environ 4 km de l’endroit où nous habitions,
ont découvert par hasard que nous étions sur la liste de personnes à déporter.
Au début ils n’ont rien voulu nous dire car, ce faisant, ils auraient pu mettre
leur propre vie en danger. Nous fûmes donc obligés de fuir dans la forêt. A un
moment et dans un lieu convenus, nos connaissances nous apportaient de l’eau et
des sardines une fois par jour. Nous y passâmes trois semaines. Les nuits
devenaient plus froides, donc mon père se rendit à la grande ville proche
(Montluçon) pour s’enquérir auprès des Juifs français qui n’étaient pas encore sur la liste des
gens à déporter s’il y avait un itinéraire pour passer en Suisse. Nous étions
convenus qu’à son retour je l’attendrais à l’arrêt du car à une certaine heure
parce que nous devions changer constamment d’endroit dans la forêt et il
n’aurait pas su où nous trouver. Mais mon père n’arriva pas avec le bus à
l’heure prévue ni avec le suivant ni avec l’autre d’après. Je dus révéler les
mauvaises nouvelle à ma mère ! Nous soupçonnâmes immédiatement la police
française d’avoir reconnu mon père et de l’avoir arrêté. Il lui fut encore possible
d’envoyer une carte postale à nos
connaissances qui, soit dit en passant, furent eux aussi déportés plus tard,
carte postale par laquelle il nous faisait savoir qu’il avait été arrêté. Il
nous envoya une seconde carte de la même adresse, le tristement célèbre camp
d’internement de Drancy, carte dans laquelle il écrivait qu’il serait déporté
vers l’Est le lendemain. L’Est signifiait Auschwitz. Serge Klarsfeld avait
dressé une liste de noms sous la forme d’un livre pour chaque année des déportations depuis la
France, livre dans lequel je pus voir que mon père Abraham Goldschneider était
arrivé à Auschwitz en 1942.
Les
gens que nous connaissions voulaient nous aider et obtinrent une autorisation
pour le voyage en train jusqu’à la frontière suisse et nous donnèrent des
conseils quant à la façon dont nous pourrions atteindre la frontière. Le plan
était que nous devions prendre le train à partir d’un lieu où il y avait moins
de contrôles. On nous conseilla d’aller jusqu’à Annemasse, descendre du train,
traverser le hall de la gare et puis rejoindre Genève. En route vers Annemasse
nous devions passer la nuit dans une famille à Lyon. Le lendemain matin, ma
mère et moi allâmes à la gare pour prendre le train pour Annemasse. Alors que
nous nous préparions à prendre nos places dans le train, le monsieur chez qui
nous avions passé la nuit, nous rejoignit en courant, bouleversé et hors
d’haleine. Il nous courait après parce qu’il avait appris que l’itinéraire
avait été révélé et que nous ne devions pas descendre à Annemasse. Ma mère
était désespérée parce que c’était le seul itinéraire que nous connaissions. Le
monsieur nous conseilla d’aller jusqu’à Evian et de là prendre un bateau de
pêche pour passer de l’autre côté du Lac de Genève en Suisse.
Malheureusement
nous dûmes être les témoins de l’arrestation des autres réfugiés à la gare
d’Annemasse après leur descente du train. Nous ne connaissions pas du tout ces
gens et donc n’avons pas eu l’occasion de les prévenir et en tout cas ma mère
n’était elle-même pas sûre jusqu’au dernier moment de savoir si nous devions
descendre ou rester dans le train. Le monsieur qui nous avait averties, nous
nous en rendîmes compte plus tard, fut « un ange venu du ciel » pour
nous. Finalement nous descendîmes à Aix-les-Bains, y passâmes la nuit et le
lendemain nous prîmes le train jusqu’à Evian.. Nous avions toujours peur que
notre médiocre maîtrise du français ne révèle notre qualité d’étrangères. Dans le train
mentionné précédemment, une dame et un monsieur discutaient en français. Ma
mère se rendit compte qu’ils avaient la même intention que nous, c’est-à-dire
d’atteindre la Suisse en traversant le Lac de Genève. Ma mère lui en parla et
lui demanda de nous aider. Il devait trouver un village de pêcheurs et bien sûr
un pêcheur avec un bateau qui serait prêt à faire
traverser le Lac de Genève à des réfugiés. Nous nous mîmes d’accord avec le
monsieur avec qui nous avions discuté dans le train pour qu’il passe nous
prendre à un certain endroit afin de nous emmener jusqu’au bateau de pêche. En
fait le bateau fut surchargé de réfugiés
et, après une traversée pleine d’inquiétude de deux heures, nous
atteignîmes Lausanne au milieu de la nuit. A ce moment-là nous nous cachâmes dans des buissons jusqu’au
lendemain matin quand nous fûmes réveillées par l’odeur du pain fraîchement
cuit qui émanait d’une boulangerie proche. Comme nous avions faim, nous nous
dirigeâmes directement vers la boulangerie pour acheter deux petits pains tout
chauds. A peine étions nous sorties de notre cachette que nous fûmes découvertes par la police des
frontières suisse et immédiatement arrêtées. C’est ainsi que nous fûmes internées dans un camp militaire de
réfugiés ; de là à Moudon et puis à Wesen sur le Lac de Walen et plus tard
à Oberhelfenschwil, tous camps de
réfugiés aussi gardés par des militaires.
Au
bout d’environ deux ans, nous sommes reparties à Moudon qui était alors un camp
de travail pour femmes. Plus tard nous
partîmes pour différents camps de réfugiés : Champéry, Morgins et enfin
Clarens au-dessus de Montreux. Dans le camp de Wesen sur le Lac Walen nous
n’avions la permission de nous promener que sous l’œil vigilant des militaires,
comme des criminelles ! J’y ai travaillé et plus tard aussi au camp d’
Oberhelfenschwil comme enseignante de maternelle. A la différence de Wesen, à
Oberhelfenschwil, nous pouvions nous déplacer librement. Dans le camp de
travail pour femmes de Moudon j’ai dû faire des tâches pénibles à la cuisine.
Il y avait de lourdes marmites dont les seuls couvercles pesaient 15 kg et des
bidons de lait pesant 40 kg qu’il fallait soulever. A Clarens il était possible
de fréquenter une école de langues qui comprenait un enseignement commercial.
En
tout nous avons été détenues du 18 septembre 1942 jusqu’à l’été 1948,
c’est-à-dire 6 ans dans différents camps en Suisse. La raison pour laquelle
nous avons été internées (jusqu’à trois ans après
la fin de la guerre) fut que -en raison, entre autres, du chômage de l’époque-
, les Suisses avaient peur que nous prenions les emplois des autochtones. La
directrice du camp de travail de Clarens tenta d’obtenir un permis de travail
pour moi et aussi un permis de séjour pour ma mère et moi dans le canton de
Zurich.
J’ai
rencontré mon mari Natan (Nousziek) dans la cuisine des réfugiés de la maison commune
de Lavaterstrasse à Zurich. Mon mari avait été détenu au camp de concentration
de Buchenwald jusqu’en mai 1945. De là il arriva par un transport de la Croix
Rouge à l’Hôpital Clara de Bâle. Mon mari était originaire de la banlieue de
Cracovie en Pologne. Ses parents et ses deux sœurs furent déportés en 1942.
Dans quel camp de concentration ? Je l’ignore. Ils y sont tous morts. Mon
mari a survécu par miracle. Au camp il contracta la fièvre typhoïde avec une
forte température. Soutenu par deux détenus, il fut appelé pour une sélection.
Il fut sélectionné pour aller à droite – le côté de l’exécution. Malgré son
état grave, il s’arracha de ses camarades et dit : « Arrêtez !
Je peux marcher ». C’est ainsi qu’il fut sauvé.
Ce
que j’ai oublié de dire, c’est que pendant que nous étions encore en France –
cachés dans les bois, nous devions changer de place tous les jours afin de ne
pas être découverts. Nous dormions soit sur le sol soit dans une grotte que
nous couvrions de fougères. Une fois au cours d’une forte tempête nous avons
passé la nuit dans une chapelle.
Pendant
notre séjour dans différents camps en Suisse ma défunte mère pleurait beaucoup
et a beaucoup souffert. Elle ne pouvait pas surmonter le fait que mon père
avait été déporté à Auschwitz. Je dus cacher ma propre douleur parce que ma
mère ne pouvait plus le supporter. Je devais tirer les couvertures sur ma tête
pour qu’elle n’entende pas mes sanglots.
Vers
1945, un monsieur, je pense qu’il s’appelait Wilner, est arrivé au camp de
Morgins. C’était un survivant d’Auschwitz. Ma mère naturellement voulut savoir
s’il avait vu mon défunt père, Abraham Goldschneider à Auschwitz. Le sort
voulut qu’il ait été logé dans le même block que mon père. Il était alors chef
de block. Il se souvint d’avoir parlé à mon père ; il connaissait des
détails sur ma mère et moi. En entendant cela, ma mère fit une dépression
nerveuse. Elle avait 46 ans.
Ma
grand-mère, ma tante et un cousin habitaient à Radlow près de Tarnow. On leur
fit creuser leurs propres tombes et on les abattit. Un oncle et un cousin
purent s’échapper à temps vers la Sibérie et en revinrent après la guerre. Mon
cousin du côté de ma mère, Lonek Kornbluth, est encore vivant et habite au
Canada avec sa famille.
Les
frères de mon défunt père, Chaskel et Jtzhak Goldschneider, dont j’ai fait la
connaissance au début des années trente au cours d’un voyage en train en Pologne,
ont été victimes de l’extermination. J’ai écrit le récit de ce voyage dans un
récit séparé.
J’habite
aujourd’hui dans la maison de retraite juive Hugo Mendel à Zurich parce qu’à
cause de ma maladie, je ne peux plus vivre seule.
Ma
fille ainée habite à Paris et a quatre enfants dont deux sont mariés. Ma fille
cadette habite à Petah Tikva en Israël. Elle a aussi quatre enfants dont deux
sont également mariés.
Ce
que j’ai oublié de mentionner précédemment, c’est que le camp de Moudon était
sévèrement gardé et on ne pouvait pas quitter le camp. C’est pour cette raison
qu’avec des filles de mon âge je me suis portée volontaire pour le service du
transport. Ceci impliquait soit d’aller soit de revenir de la gare pour ramener
ou amener des bagages ou des marchandises. Le travail était très dur parce que
le chemin était raide et bien sûr nous n’étions pas motorisées. Mais au moins
de cette façon cela nous permettait de sortir du camp.
Beaucoup
de prisonniers n’ont pas pu supporter les conditions inhumaines du camp et ont donc mis fin à leurs jours".
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